© Matthieu Zellweger /
Suisse, 2017.
Rolle, le 7 novembre 2013.
Cher Oncle Hans, Pour commencer, je dois te prier de bien vouloir m’excuser de t’écrire en français. Nous avons toujours communiqué en allemand, toi et moi, peut-être parce que le Professeur que tu avais toujours été gardait cet attachement à la langue de la transmission du savoir. Ou peut-être voulais-tu faire un pas vers moi pour que nos longues conversations me soient plus faciles. Dans tous les cas, je l’écris malheureusement trop mal pour le texte d’aujourd’hui. Nous nous sommes vus pour la dernière fois il y a quelques semaines. Lors de mon départ, tu m’as dit, pressentant peut-être ce qui allait arriver : « Je ne peux plus rien t’enseigner, maintenant, tu dois juste travailler sans relâche ». Je repense souvent à cette phrase, c’était une belle façon de me dire adieu. A vrai dire, tu m’as toujours enseigné et je m’en suis senti extraordinairement privilégié. D’aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai compté sur tes conseils, tes encouragements, ton soutien. Tu étais un personnage inspirant, tu sais, toujours pétillant d’idées créatives comme ces dessins que tu préparais pour que mes frères et moi puissions les colorier ou tes étranges machines faites d’un morceau de bois et de deux élastiques. Plus tard, tu m’as aussi enseigné bien des aspects de la photographie, le cadrage, les compositions. Tu m’as aussi parlé du travail de photographes que tu admirais, des émotions contenues dans les images, des techniques de narration. C’était incroyable de voir combien tu avais soif d’images. Jamais je n’oublierai ta réaction quand je t’ai annoncé que j’avais quitté ma vie confortable de chef de projet dans une multinationale pour répondre à l’appel de la vie et réaliser mon rêve le plus cher. Tu m’as soutenu, bien sûr, mais je crois que tu étais aussi un peu interloqué. C’était un choix positif, tu sais, et lorsque j’ai sauté le pas pour devenir photographe professionnel, c’est toi que je suis allé voir en premier. Tu te souviens, nous avions marché depuis chez toi jusqu’à ce restaurant, et nous avions mangé et bu une bonne bouteille de vin rouge. Et bien sûr, tu m’avais donné des conseils. Je t’ai envoyé tous mes édits depuis et je crois qu’au fur et à mesure, tes doutes se sont estompés. J’avais réfléchi à la chose et ne me lançais pas au hasard. Tu t’en es d’ailleurs vite rendu compte et as eu la gentillesse de même me complimenter sur mes progrès. Au fait, tu sais, cette phrase que tu m’as dite l’autre jour pour prendre congé, elle contenait au-moins une imprécision : tu aurais pu m’en enseigner encore beaucoup. Mais je comprends ton message – il faut que je trace maintenant mon propre chemin. Je travaillerai sans relâche, Oncle Hans, je le fais déjà. Tu as été l’une de mes inspirations majeures lorsque j’étais, adolescent, un photographe débutant. Je ne te décevrai pas.
RIP Hans Börlin, 1914-2013.
Rolle, en janvier 2018.
Cher Oncle Hans,
Plus de quatre ans ont passé et le moment est venu de reprendre ma plume. Il y a environ 18 mois, j’ai eu l’immense surprise de recevoir un de tes appareils-photo en souvenir de toi. J’en ai été profondément flatté, et maintenant ton magnifique Leica M2, construit en 1961, est avec moi ! Lorsque je me suis remis de ma surprise initiale, j’ai localisé quelques rouleaux de pellicule noir/blanc et j’ai commencé à photographier un petit projet avec ton appareil. Evidemment, il fallait que ce projet parle de toi. Je me suis plongé dans mes souvenirs, tes enseignements, j’ai parlé avec ton fils, j’ai réuni du matériel qui parlait de ta vie. Et surtout, j’ai réfléchi. Tu vois, je ne voulais pas photographier nécessairement autour de ta vie. D’une part, et malgré le fait que tu aies fait partie de mon paysage depuis ma naissance, je dois t’avouer que je savais peu de ta vie à toi. Je me souviens bien de ta dernière maison et je sais où se trouve ta tombe, mais c’est à peu près tout. D’autre part, ce projet devait se concentrer sur ce que tu m’as transmis, mais avec mes images à moi. J’ai réfléchi longuement au meilleur moyen de combiner tous ces éléments. Puis j’ai commencé à photographier. Il fallait, je le savais, que l’édit final inclue ces « méta-images » que tu aimais tant, comme celles que tu faisais en tirant quatre fois un négatif pour ensuite les rejoindre par un coin pour faire une image « que ton œil ne peut pas voir ». Je savais aussi qu’il me faudrait inclure des lignes fortes, et des images de nature, même si j’ai toujours été plus attiré par les rives d’un lac que par les montagnes que tu aimais tant. Pour finir, je me suis dit que j’y inclurais quelques clins d’œil à ma pratique photographique : mon appareil moderne avec ses cartes-mémoire, mon livre qui vient de sortir, une carte de vœux que j’ai reçue de ton fils, et oui, bien entendu, des images d’un pont vu par en-dessous, comme celle que j’avais prise quand j’avais environ 16 ans et que tu avais commentée en si grand détail en m’expliquant comment la lire. Alors voilà, le résultat est en ligne. C’était très gratifiant de photographier avec ton appareil, et cela m’a permis de penser à toi et à tout ce que tu m’as offert. Je regrette aujourd’hui que tu ne sois plus là pour voir le résultat, mais c’est ma façon de te rendre hommage. Merci, Oncle Hans.