© Juliette Robert /
Cachemire, Inde, 2010.
Encore aujourd’hui, je continue d’attendre Fareed ». Un matin, il y a 14 ans, le mari d’Arsha, 47 ans, est parti travailler, mais il n’est jamais revenu. Depuis, elle ne peut se résigner à l’oublier. Comme Arsha, elles sont des milliers au Cachemire à se faire appeler les demi-veuves. Dans l’Etat indépendantiste du nord de l’Inde que ce pays, la Chine et surtout le Pakistan se disputent depuis plus de vingt ans, l’appellation est rentrée dans le vocabulaire, tant le phénomène affecte la population. En effet, depuis 1989, entre 8000 et 10000 disparitions ont été signalées, entre autres par Amnesty International. Parmi elles, de nombreux maris disparus sans raison apparente, comme Fareed, ou arrêtés par l’armée indienne qui les soupçonnait d’être des terroristes indépendantistes sans preuve. Ces femmes doivent désormais faire face à de graves problèmes financiers, en plus de la difficulté d’un deuil virtuel. Car leurs hommes n’étant pas officiellement morts avant un délai de 25 ans, elles ne peuvent percevoir la pension attribuée aux veuves. Certaines prennent la décision de se remarier, pour assurer à leurs enfants un foyer. Mais si cela n’est pas interdit, dans la société musulmane traditionaliste du Cachemire, ce choix reste très rare. Les autres n’ont souvent plus d’autre choix que de bénéficier de la solidarité locale ou familiale pour pouvoir nourrir leurs enfants. Face au mutisme des autorités indiennes, pourtant gênées par les révélations récentes de Wikileaks concernant des tortures perpétrées dans les prisons du Cachemire, et à une armée qui nie toute implication dans les vagues de disparitions, celles qui en ont les moyens se rendent tous les mois à Srinagar, la capitale, pour une manifestation pacifiste afin de demander la vérité…et la justice.